top of page

Avancer dans son style ou exagérer les proportions

  • Matéo Delesdiguieres
  • il y a 4 jours
  • 6 min de lecture

Matéo Delesdiguière

Illustré par William Lentz


On entend souvent « Une mode qui n’est que mode est déjà passée. » Heureusement la nôtre est intemporelle.

 

Intemporel Magazine Pitti Uomo

On le reconnaît à cent mètres, même sans lorgnon. Ce n'est pas tant sa mise que l'intention. Trop de revers, trop de pinces, trop de volume. Il avance dans le monde sartorial à grandes enjambées, persuadé que l'élégance rime avec largeur. Tout y est : le col pelle à tarte, les revers de 11cm, l’ourlet franc, et souvent une cravate club plus large que les épaules de celui qui la porte. Il sourit un peu trop. Il se veut homme de goût.

Il l’a vu sur Instagram, et pour les plus érudits, sur les vidéos d’Hugo Jacomet. Alors il imite, copie, amplifie. Le tout sans toujours comprendre ce qui faisait le sel de ces silhouettes : leur justesse.

Bienvenue dans le monde merveilleux du sartorialiste pressé.


Le style - et le reste - ne se mesure pas en centimètres


L’élégance masculine s’est habillée d’un paradoxe moderne : jamais on n’a autant théorisé le costume — jamais il n’a autant été mis à mal. Sur les forums de puristes et dans les rayons « tailoring » des nouveaux dandys, tout semble se jouer sur une seule mesure : la largeur. Largeur du revers, du pantalon, de l’ouverture de jambe, du col de chemise, de la languette de mocassin, et même — Dieu nous protège — largeur du pied en richelieu.

À ce jeu-là, certains ne veulent pas être en avance sur leur temps, mais en débordement de leur époque.

Le souci, voyez-vous, c’est qu’à trop vouloir exagérer ce qu’on croit être les canons de l’élégance, on tombe dans la parodie.

Les proportions exagérées ne rendent pas hommage à la tradition : elles la travestissent. L'élégance repose sur l'équilibre, sur l'accord subtil entre morphologie, époque, matériaux et port. Le sartorial n'est pas une réplique vintage, c'est un langage vivant.

ree

J’aimerais m’attarder un instant sur la question des revers, car elle incarne à elle seule ce penchant pour l’exagération. Scavini s’y penche avec justesse sur son blog : il y est rappelé qu’un revers trop large, loin d’exprimer un goût sûr, peut déséquilibrer toute la silhouette. Ce n’est pas parce qu’un revers de 10 cm habillait bien les vestes d’antan qu’il convient systématiquement aujourd’hui. Il faut considérer l’épaule, la carrure, la hauteur de boutonnière, la structure du costume. Un revers bien proportionné accompagne, il ne déborde pas.

Il ne faut pas confondre impact visuel et qualité. Aujourd’hui, chez les nouveaux venus du style, on dirait qu’on confond largeur et autorité. Comme si porter des revers de 12 cm transformait automatiquement un vendeur de sneakers en prince de la flanelle.

 

L’arrivée de marques comme Suitsupply illustre parfaitement ce phénomène. Avec leurs revers larges et leur communication agressive, ils ont remis un certain tailoring sur le devant de la scène. Et tant mieux ! Mais cette volonté de marquer visuellement le style se heurte souvent à une incohérence : pantalons trop serrés, coupes qui compriment plus qu’elles n’élancent. Le revers déborde, mais la jambe étrangle. On est loin de la fluidité des ensembles bien pensés.

À l’opposé, on trouve des maisons comme Husbands, à Paris, qui ont su conjuguer classicisme et précision contemporaine. Là, les proportions sont maîtrisées. Le vêtement respire, la coupe sert le mouvement. C’est un style ancré dans une culture du vêtement, pas dans le spectaculaire. C’est cette cohérence que l’on recherche, ce dialogue constant entre ligne, matière, posture et allure. Et puis peut-être que personnellement, les années 70 m’attirent un peu.


Le syndrome du costume trop documenté


J'ai vu des jeunes passionnés débarquer dans ces fameuses fripes parlant de revers à 10 cm, d'épaule spalla camicia sans rembourrage, d’ouverture de jambe à “la moitié de leur pointure”… Ils citaient Parisian Gentleman, Le Chouan des Villes, comme on cite Lafontaine, parsemaient un peu de Damoiseaux et de Stiff Collar sans toujours comprendre que ces données sont des repères, pas des règles. Ce n'est pas en montant le volume qu'on monte en gamme.

C’est un peu lire comme la fiche technique d’une quille de vin, sans se laisser la chance de le découvrir. Ça fait du bien de revenir de temps en temps à son domaine de prédilection.

Il y a cette figure étrange et croissante dans les cercles de style : l’homme Wikipedia du tailoring. Il connaît tout. L’origine du pantalon Gurkha, la date de création de la veste Norfolk, les différences entre une coupe Huntsman et une coupe Liverano, il vous les débite avec l’entrain d’un conférencier du Louvre. Mais son costume, lui, vous blesse la rétine. Trop chargé, trop étalé, trop copié-collé.

À force de vouloir trop bien faire, il oublie la seule vérité : l’élégance ne se lit pas, elle se ressent.

Dans les années 50, les Italiens ont révolutionné le vestiaire masculin en cassant les lignes anglaises, mais ils l'ont fait avec une vraie lecture de leur époque et de leur climat. La veste déstructurée n'est pas née d'un caprice, mais d'une manière de vivre. La coupe ample n'était pas un jeu d'esthète, mais une réponse au mouvement.


ree

Aujourd'hui, beaucoup s'habillent comme s'ils jouaient un rôle. On recrée un costume d'époque avec zèle, mais sans la respiration. Or, un costume doit respirer. Il doit se plier à votre journée, à votre allure, à votre manière de vous asseoir, de saluer, de vivre, d’aimer… Moi j’aime beaucoup, alors je porte du souple, du léger, du facile à enlever…

Je ne dénonce pas. Ce sont des erreurs de jeunesse, et je suis moi-même pas très vieux, alors imaginez ! J'ai moi aussi surjoué le style, empilé les codes, voulu prouver que j'avais compris. Je voulais des tailles hautes en dessous du torse pour que personne ne puisse jamais rien me reprocher, large aux cuisses, extrêmement ouvert en bas. Une belle cravate qui s’évasait avec un nœud bien épais. J’ai passé la tenue, enfilé mon nez rouge et failli finir ma vie sous un chapiteau. Puis j'ai compris que le style ne se prouve pas, il se vit.


Une question d’époque (et de corps)


Le style, c’est l’art de négocier avec ce que l’on est. Les revers des années 30 ne vont pas à tous les torses. L’ouverture de jambe des pantalons de Fred Astaire ne sied pas à toutes les hauteurs. Et tous les visages ne supportent pas une chemise à col club.

L’élégance consiste à doser. À savoir qu’un col châle se porte mieux le soir que dans une galerie marchande. Qu’un pantalon à pinces demande du drapé, mais aussi du maintien. Que le veston croisé demande du port altier, sinon il vous croque.

Ce n’est pas de la rigueur à l’ancienne, c’est du respect pour la grammaire du vêtement.

L'une des grandes richesses de ce monde sartorial, c'est l'artisanat. Ce lien direct entre celui qui coupe, celui qui coud, celui qui porte. Quand on entre chez un bon tailleur, il ne vous parle pas de centimètres. Il vous regarde. Il décèle un port, une posture, une idée de soi. Il construit une silhouette, pas un patchwork de références.

Les proportions, il les ajuste à vous, pas à l'air du temps. Il ne vous impose pas une mode, il vous aide à en sortir. C'est à cela qu'on reconnaît les meilleurs. Et souvent, ils n'ont pas besoin d'en parler.

Oui, les revers larges peuvent être sublimes. Oui, une ligne de jambe généreuse a du charme. Mais la largeur est un moyen, jamais une fin.

Depuis que le Pape nous a quittés, j’ai cru que les cardinaux néo-influenceurs du bon goût allait le remplacer par le nœud Windsor… Je le vois de partout sur des types fins comme des aiguillons de guêpe, parce qu’il est plus compliqué, il impose un savoir. Mais pas un style.

ree

Je n'écris pas pour dicter des lois, à la base je suis critique culinaire, mais pour ouvrir quelques portes. Le style n'est jamais figé, il se transforme avec vous. Il n'y a pas de bonnes ou mauvaises proportions, il y a celles qui vous vont. Celles qui révèlent quelque chose de vous, sans crier.

Êtes-vous plutôt structure ou souplesse ? Forme ou fluidité ? Velours ou fresco ? C'est en se posant ces questions que l'on construit un goût. Pas en recopiant une silhouette vue sur Instagram ou dans une vitrine.

La prochaine fois que vous commandez un costume, ne demandez pas « combien fait le revers ». Demandez : « Est-ce que ce revers me correspond ? »


L’élégance est une posture intérieure

Alors la prochaine fois qu’un nouveau venu dans le monde sartorial vous demandera combien de centimètres doit faire son revers, répondez-lui : "Autant qu’il faut pour qu’on ne le voie pas.”`

Parce que dans ce monde où l’on confond souvent excès et style, le véritable élégant est celui dont on ne remarque rien — sauf qu’il est impeccablement lui-même.

Ces quelques travers, ces maladresses stylistiques, ces emportements de volume ne doivent pas masquer une évidence : il se passe quelque chose de beau. De plus en plus d’hommes s’intéressent à l’élégance. Ils redécouvrent le plaisir de bien s’habiller, d’avoir de l’allure, de se distinguer. Et ça, quoi qu’on en dise, c’est une excellente nouvelle.

Alors certes, parfois ça dépasse, ça flotte, ça brille un peu trop. Mais au fond, on préfère mille fois un revers trop large à l’absence totale d’effort. Car dans cette quête, maladroite ou non, se cache un amour du vêtement qui mérite d’être accompagné.



Retrouvez cet article dans le numéro de l'été 2025 !



Commentaires


bottom of page