top of page

La Quaintrelle, au-delà d’une Dandy au féminin

  • Anne-Cécile Reymond
  • 24 août
  • 6 min de lecture

Anne-Cécile Reymond


Intemporel Magazine Pitti Uomo
Marlene Dietrich dans Morocco par Joseph von Sternberg

          

Bien que George Brummell, Cecil Beaton, les frères Mocchia di Coggiola, et tant d’autres hommes - peut-être vous-même - soient proclamés et reconnus comme “Dandy”, la femme ne se prive pas pour autant de s’instituer elle aussi: elle sera Quaintrelle. Ce titre provient de l’adjectif anglais quaint qui se traduirait au mieux par charmant de désuétude, autrement dit: ce qui plaît et attire l'œil parce que c’est suranné. La linguistique historique nous laisse étudier que le terme hérite également de l’anglais médiéval “queyntrell” et du moyen français “cointerelle” signifiant tout deux “une jeune femme passionnée par la mode.” On dirait aujourd’hui une fashionista, une fashion victim, ou bien, pour éviter tout anglicisme: une modeuse.

La définition que le XXIème siècle donne à ce terme du XVème est « une femme qui s’adonne aux plaisirs de la vie afin d’en exprimer sa passion, par son style personnel et la culture. » 

Le choix de cette appellation, strictement féminine, survient en réponse à une féminisation jugée trop simple et peu éloquente du terme masculin dandy, en dandyesse ou encore dandizette ( un petit rajout suffixal aux accents féminins et le tour est joué, les filles seront contentes!).

L’inélégance de ces néologismes chimériques ne satisfait pas celles qui entendent bien affirmer leurs goûts et leurs particularités au travers de leurs habits, leurs toilettes et autres effets. La formation lexicale de ce mot en dit long sur le sens et l’estime qu’on y accorde. En effet, l’étude diachronique nous indique que le radical coin- ,dans cointerelle, est l’étymon de l’adjectif français “vain(e)”, toujours employé aujourd’hui, signifiant tout bonnement “ce qui est vide de sens et sans propos”,  synonyme de “frivole”.


Les revendications stylistiques d’une jeune femme et le soin tout particulier qu’elle porte à son apparence, sont-ils fatalement les indicateurs d’une futilité ?

Intemporel Magazine Pitti Uomo
Gabrielle Chanel

La Précieuse du XVIIème siècle subit déjà ces simplifications essentielles et autres mésestimes, mais la Quaintrelle ne soumet pas son titre aux simples considérations d’apparence: elle se construit aussi par ses loisirs. George Sand est la Quaintrelle du XIXème siècle par excellence. Les considérations masculines de l’époque faisant peu de cas des auteures, Aurore Dupin choisit le pseudonyme George Sand, alors même que de l’autre côté de la Manche, Mary Ann Evans publie sous celui de George Eliot. Un esprit vif aura tôt fait de constater que cela fait trois George contemporains dans cette histoire de dandysme : le beau Brummell, Sand et Eliot. Coïncidence? Affaire à suivre … Alors qu’une ordonnance de la préfecture de Paris interdit le pantalon pour les femmes en 1800, George Sand le porte en toute illégalité. Cette transgression vestimentaire n’est que le reflet d’un caractère et d’une liberté nourris d’intelligence et de ce que Chateaubriand qualifie de “génie qui a quelque racine dans la corruption”, parmi d’autres considérations misogynes typiques des contestataires  de toute création féminine de ce temps. Notons d’ailleurs que c’est le dandy Baudelaire lui-même qui aura les mots les plus tranchants au sujet de l’ecrivaine : «Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde. (…) C’est une latrine. » ( Mon cœur mis à nu, 1887)

  George Sand ne fait pas qu’adopter le pantalon, elle pense, parle et crée, elle investit les salons littéraires réservés aux hommes et s’y impose en tant que seule femme. Son instruction semble justifier ses goûts, qualifiés de « sulfureux ». C’est bien cela qui fait enrager ces contemporains masculins, c’est sa légitimité intellectuelle au milieu d’eux.


Dans un de ses récits autobiographiques, l’écrivaine confie que ce choix vestimentaire n’est pas une revendication, puisqu’à cet effet ses écrits et son quotidien suffisent, mais que c’est plutôt pour des raisons pécuniaires qu’elle adopte les vêtements dits “masculins”.

Un siècle plus tard, une autre artiste refuse toute prescription en matière d’art de vivre et de style: Marlène Dietrich. En haut-de-forme et smoking dès 1930, prétendument arrêtée par la préfecture de police de Paris en 1933 pour “port de costume masculin”, ou encore en frac sur scène à Amsterdam en 1960, Marlène rompt avec la représentation féminine de l’ingénue en rondeurs et décolletés à la Marilyn.

Lors d’un entretien, au cours duquel elle évoque son rapport aux hommes, elle déclare Je m'habille pour l'image. Pas pour moi, pas pour le public, pas pour la mode, pas pour les hommes. 
Intemporel Magazine Pitti Uomo
Georges Sand

On lit mieux, chez Marlène que chez Sand, la recherche de l’effet propre à la Quaintrelle: l’image, c’est-à-dire incarner une certitude de beauté dans un quotidien instable. Pour celle qui est à l’écran, cela passe par l’habit, ainsi que par l’attitude : cigarette en main, dos droit, regard froid et intense. Ses robes-manteaux croisées, ses tailleurs aux carrures effilées, portés avec un mini-Borsalino, empruntent leurs effets au vestiaire masculin des années 1930. Cependant, il serait réducteur de penser que la Quaintrelle ne conçoit son esthétique que par une androgénisassion, une appropriation féminine d’un attribut stylistique masculin. Pourquoi le costume et le pantalon seraient exclusivement masculins? Une telle question saura probablement trouver son traitement dans un prochain article de l’Intemporel Magazine … Au XXè siècle encore, un peu avant Marlène, en France, une couturière caractérise ce qu’on appellera “le style unisexe”, Gabrielle Chanel introduit des pièces masculines au vestiaire féminin, la marinière et le pantalon. Nous pourrions broder tous les noms de ces emblèmes ayant traversé les siècles, sur plusieurs de ces pages, mais nous ferons halte ici.

Cette suite de noms féminins ne constitue pas une énumération qui exemplifierait simplement le concept que cet article étudie, la Quaintrelle. Il s’agit d’évoquer les différentes époques, motivations et façons par lesquelles la femme a pu exercer sa propre esthétisation revendiquée, faire sien son droit à une coquetterie dépourvue de recherche approbatrice.


Si le dandy s’est conçu comme l’anticonformiste raffiné mais révolté, et a mis son élégance au service de la transgression, qu’en est-il de la femme, pour qui le raffinement est un impératif de naissance ?

La femme peut-elle utiliser l’élégance comme prérogative et subversion tout à la fois ?


La professeur de littérature à l’Université d’Hawaï, Marie-Christine Garneau de l’Isle Adam, écrit au sujet du “dandysme féminin” en retraçant ses origines littéraires jusqu’au mythe de Cénée, ce héros lapithe né femme, Cénis, puis violée par Poséidon. Ce dernier lui accordera, comme dédommagement, un souhait : Cénis veut devenir un homme, le dieu le lui accorde, “pour ne plus subir de pareils affronts, fais en sorte que je ne sois plus femme, ainsi tu m’auras tout accordé”.  La professeure borne l’existence d’un féminin dandy à des représentations viriles et androgynes. Cependant, la Quaintrelle ne cherche pas à être l’équivalent féminin du dandy, il y a plus encore.


Marie-Christine Garneau évoque un je ne sais quoi équivalent français de la sprezzatura.

Intemporel Magazine Pitti Uomo
Gabrielle Chanel

La Quaintrelle du XXIème siècle n’a plus à revendiquer une quelconque appropriation vestimentaire, puisque les codes du vêtement sont assouplis. L’esthétique de la office siren en tailleur au bureau, la cravate pour femme, les tailleurs oversize, sont des éléments établis dans le vestiaire féminin désormais, héritage des audaces de Sarah Bernhardt, Marlène Dietrich et tant d’autres. Récemment, Monica Bellucci a encore une fois banalisé le costume-cravate au féminin, le 7 mai 2025 lors de la cérémonie des David di Donatello Awards.

L’italienne représente à merveille cette esthétique “sprezzatura-quaintrelle”. Cette idée que la femme ne rencontre aucune difficulté à porter le costume, maîtrise ses codes et peut faire le choix de ne pas les respecter. Cette idée selon laquelle ce n’est pas le costume qui l’habille, mais bien son corps à elle qui honore l’habit. La Quaintrelle de demain ne porte pas le poids symbolique du costume, mais le laisse retomber sur ses courbes. Il y a une nonchalance à cultiver, derrière laquelle tout le soin et le travail de la femme, bien consciente de l’image qu’elle renvoie, attendent l’étonnement général.


Contrairement au Dandysme, la Quaintrelle n’a pas de manifeste établi, elle n’a que des icônes, des illustrations au fil des siècles, intemporelles, en somme. Se rendant ainsi libre de toute règle convenue, laissant à chaque femme sa page pour prolonger la liste de ce titre trop méconnu.



Retrouvez cet article dans le numéro de l'été 2025 !



Commentaires


bottom of page