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Chroniques du Grand Relâchement : Les désarmants leggings et l’étouffant polyester

Romain de Vregille

Romain de Vregille

Illustré par Camille Heude


La première chronique appelle à la barre deux séicles du Grand Relâchement, l’un est un vêtement couvrant le bas du corps féminin, l'infâme legging, et l’autre est une matière créée par l’industrie pour le plus grand malheur de notre épiderme, le polyester.


l’un est un vêtement couvrant le bas du corps féminin, l'infâme legging, et l’autre est une matière créée par l’industrie pour le plus grand malheur de notre épiderme, le polyester.
Camille Heude pour L'Intemporel

Autrefois circonscrits aux salles de sport, aux activités nautiques, cyclistes ou même aux sports d’hiver, les leggings ont depuis fait florès. Même les hommes s'y mettent pour pratiquer leurs activités physiques, avec de beaux modèles moule-paquet qui ne sont pas sans rappeler les bas du Moyen-Âge ou de la Renaissance. Le legging cartonne tant et si bien que beaucoup de femmes en ont fait désormais un vêtement de base de leur vestiaire quotidien, au même titre que n’importe quel type de pantalon moulant. La revendication des courbes promues par les stars internationales comme la Kardashian, encouragée par l’inévitable féminisme bétième génération, aura certainement contribué à sa sortie du bois pour devenir une icône vestimentaire.

Camille Heude pour L'Intemporel
Camille Heude pour L'Intemporel

A coup sûr, on rétorquera que chacun est libre de faire ce qu’il veut de son corps, et de le présenter comme il le souhaite, de s’assumer sans aucune entrave…mais il ne s’agit de rien d’autre qu’un énième avatar du libéralisme individualiste outrancier et débridé de notre époque, qui justifie tous les renoncements. Quelle grande peine que de flâner dans les rues de nos cités et de se retrouver en permanence confronté à ces corps paraissant nus (surtout lorsque les leggings sont couleur chair !), jetant en pâture aux regards des passants ces formes, au choix flasques ou musclés, débordantes ou débordées, voire ces effets orteil de chameau peu ragoûtants.


Les libérations successives du corps de la femme avaient permis aux créateurs, surtout depuis la fin de la première guerre mondiale, de mettre en valeur sans corseter, de chercher des lignes et des formes respectueuses, parfois osées. A cet égard, les collants ont toujours fait partie des tenues féminines, soit pour le simple confort de ces dames, soit pour compléter une tenue (on peut penser aux mini-jupes des années 60 avec leurs collants épais), ou encore pour y ajouter une pointe de sensualité. Mais Christian Dior, Madame Chanel ou Cristobal Balenciaga se retourneraient certainement dans leurs tombes en découvrant le “phénomène legging” d’aujourd’hui. C’est la platitude sartoriale à son niveau le plus élevé, le triomphe de la médiocrité vestimentaire, le tout servi par des multinationales de la fast fashion qui surabondent dans le mauvais goût, en jouant sur la vague du sport en salle, et sur les messages soi-disant pro-féministes de libération du corps qui ne servent que leurs intérêts financiers…bref, la quintessence du Grand Relâchement.

Les leggings sont d’ailleurs les grands protagonistes d’une autre évolution fort désagréable de notre temps, l’arrivée massive des matières plastiques dans les tissus proposés par l’industrie vestimentaire, et en tête de tous ceux-ci, le polyester. Parodiant une publicité pour une eau de source, on pourrait dire que le polyester est riche en polluo-carburants, en matières mortes synthétiques, en fibres chargées d’odeurs de transpi non respirantes et en joli reflets soyeux trop beaux pour être vrais. Son histoire sartoriale commence vraiment avec le Tergal de grand-papa, matière qui faisait l’alliance de la carpe et du lapin, des polymères et du coton (ou de la laine), mais qui triompha dans les années 50, 60 et 70 (du made in France of course). “Impeccable en toutes circonstances, c’est incroyable… c’est Tergal !” nous jurait la réclame. Toute la famille s’y met, les pantalons à pince de Monsieur ne perdant plus leur forme, les jupes plissées de Madame maintenant leurs plis sans effort ni repassage et les enfants ne parvenant plus à désespérer leurs parents avec des vêtements déguenillés. De cette belle époque, on voit encore de temps en temps jaillir le logo Tergal, reconnaissable entre mille, dans les intérieurs de vestes ou de manteaux qui attendent de trouver un nouveau propriétaire sur les penderies des boutiques de seconde main.

Camille Heude pour L'Intemporel
Camille Heude pour L'Intemporel

Pour l’industrie, le polyester (seul ou mélangé) dispose de toutes les vertus: résistance, élasticité, imperméabilité et son prix défiant toute concurrence. Il faut lui reconnaître une grande utilité, pour les vêtements de travail en extérieur, ou bien sûr pour l’équipement du sportif, pour qui c’est une bénédiction offrant les avancées technologiques nécessaires à ses performances d'athlète de haut niveau, notamment en haute montagne. Mais, comme toujours, il y a un mais…voire plusieurs.


Aujourd’hui, toutes les marques de fast fashion ont abandonné quasi intégralement la laine, devenue trop chère, pour adopter toute la variété de tissus issus de la pétrochimie. Ces derniers, outre leur prix imbattable qui permet de générer de jolies marges, reproduisent à merveille les motifs et caractéristiques extérieures des tissus en laine, même si leur toucher garde encore une certaine âpreté qui ne devrait pas tromper le toucher des experts en étoffes de bonne facture.


A cet égard, en termes de qualité, les dessins des annonces Tergal sur papier glacé étaient attrayants, mais la réalité des ces tissus, un peu rêches et désenchantés, n’a pas permis d’atteindre le glamour promis. Au surplus, les tissus pur polyester gardent toujours ce côté faux, un peu carton pâte, qui révulse l’oeil aiguisé et identifie immédiatement la qualité bas de gamme, comme un costume noir de chez Zara trop brillant, porté par un candidat stagiaire lors de son premier entretien d’embauche.

Camille Heude pour L'Intemporel
Camille Heude pour L'Intemporel

En outre, il faut peut-être se poser la question de la pollution induite par cette masse gigantesque de vêtements (souvent jetables et jetés) produits avec des tissus de ce type. Elle entraîne des rejets de matières plastiques beaucoup moins visibles que les bouteilles que nous consommons à l’excès et que nous voyons flotter à la surface des océans, car microscopiques à chaque lavage. La pulsion consommatrice instiguée par l’industrie et ses innombrables collections chaque année a trouvé son parfait carburant pour continuer à ré-achalander les boutiques physiques et en ligne de nouveautés pétrochimisées.


Enfin, le contact direct et prolongé de ces fibres avec notre peau ne peut pas avoir de bons effets, ni d’effets neutres, en raison du processus de fabrication de ces fibres, impliquant de nombreux produits chimiques dont les effets sur la santé ne sont pas parfaitement clairs. Si bien qu’il faut nécessairement privilégier les fibres naturelles, au moins pour les sous-vêtements, en toute circonstance.


Un peu de bon sens et de prise de conscience devraient permettre à chacun de reprendre ses esprits et de faire d’une pierre deux coups, en abandonnant définitivement le port des leggings dont les entrailles regorgent de ce polyester détestable.



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